Catégorie : Paroles d’experts

Quel est l’impact de la lumière bleue sur notre sommeil ?

NICOLAS LEVEZIEL – La lumière est perçue par des cellules ganglionnaires de la rétine. Ces cellules ont un pic de sensibilité à 464 nm, situé dans la lumière bleue. Elles transmettent l’information sous la forme d’un influx électrique par le biais de connections neuronales au chef d’orchestre des rythmes circadiens localisé dans l’hypothalamus.

De nombreux facteurs peuvent influencer le rythme circadien, le plus connu étant bien entendu le décalage horaire. Un autre facteur peut également être une exposition nocturne à la lumière artificielle. Ce phénomène se voit chez les oiseaux qui peuvent chanter toute la nuit auprès des zones d’habitations éclairées, mais également chez des personnes amenées à travailler régulièrement le soir sur écran.

Dans ce contexte, l’utilisation des écrans est à éviter en période nocturne puisque des pathologies sont associées à des perturbations des rythmes circadiens.

Quelles précautions les gros consommateurs d’écrans doivent-ils prendre pour préserver leurs yeux ?

NICOLAS LEVEZIEL – En cas de travail intensif sur écrans, il est indispensable de se ménager des pauses régulières afin d’éviter la fatigue visuelle inhérente à une exposition prolongée.

Il faudra également veiller à adapter son poste de travail pour améliorer la position du corps vis-à-vis de l’écran.

En outre, il faudra veiller à diminuer la luminance de l’écran et éviter les phénomènes d’éblouissements qui peuvent survenir en présence d’une fenêtre ou de toute autre source d’éclairage.

Enfin, il peut être utile d’appliquer sur son écran un filtre en sachant toutefois que seule une partie de la lumière bleue est filtrée par ce type de dispositif.

Faut-il interdire les réseaux sociaux à ses enfants lorsqu’ils entrent au collège ?

SERGE TISSERONNon, ce sont eux qui sont les mieux placés pour en bénéficier ! Mais il faut les avoir mis en garde auparavant, leur avoir expliqué le droit à l’intimité et le droit à l’image, et aussi les trois pièges d’Internet : tout ce qu’on y met peut tomber dans le domaine public, tout ce qu’on y met peut y rester éternellement et il ne faut pas croire tout ce qu’on y trouve.

A partir de là, il existe un bon usage des réseaux sociaux, et aussi un mauvais usage. Tout d’abord, 80 % de l’activité sur Facebook consiste à parler de soi, et cela participe à la fois à la construction de l’identité et à la socialisation. C’est ce que j’ai appelé en 2001 le désir d’extimité, pour désigner la façon dont nous cherchons toute notre vie à faire valider par des témoins des parties de nous-mêmes jusque-là gardées secrètes. En pratique, le bon usage des réseaux sociaux est celui qui consiste à prolonger l’atmosphère de la cour de récréation : on se raconte des histoires, des potins, on se donne des preuves d’amitié plus ou moins authentiques… Tout cela prépare à une bonne gestion ultérieure des relations sociales. Mais il existe aussi un mauvais usage des réseaux sociaux. C’est lorsque la recherche de la comparaison sociale prend le pas sur tout le reste : le désir de comparer son réseau social à celui des autres crée un cercle vicieux, car celui qui cherche sur Internet à construire son estime de lui-même n’y parvient jamais. Et il a été montré que les enfants qui sont tentés d’adopter cette attitude sont ceux qui sont en souffrance de reconnaissance sociale dans leur famille et leurs relations de proximité.

Un usage modéré des écrans peut-il avoir un impact positif sur notre activité cérébrale ?

PIERRE-MARIE LLEDO – Il faut voir l’écran comme un outil disruptif. Or, à chaque fois qu’un outil disruptif a été inventé dans l’histoire de l’humanité, notre cerveau a gagné en puissance. Je pense notamment à l’écriture qui a été le premier outil disruptif. Socrate nous mettait déjà en garde à l’époque sur le fait que l’écriture allait appauvrir notre mémoire. Or, cela n’a pas été le cas. Le digital est aujourd’hui en train de modifier le fonctionnement de notre cerveau comme l’invention de l’écriture avait modifié notre mémoire. L’avènement du digital permet à notre cerveau de s’améliorer en externalisant certaines fonctions cognitives. Déléguer certaines tâches au monde digital nous permet de concentrer notre activité mentale sur d’autres tâches que le numérique ne peut pas exécuter à notre place, comme la possibilité de prendre des décisions basées sur nos émotions (décisions intuitives) et non la raison. Les écrans peuvent donc être un atout pour notre cerveau et sont déjà d’excellents outils en matière d’éducation ou d’amélioration du cerveau sain et de remédiation du cerveau malade.

Quel est l’impact des écrans sur le cerveau des enfants, par nature plus malléable que celui des adultes ?

PIERRE-MARIE LLEDO – L’influence des écrans sur un cerveau malléable comme celui des enfants peut être à la fois :

  • positif car des circuits vont être stimulés (développement de la sphère sensorielle) et car les écrans apportent une ouverture sur le monde ;
  • négatif si l’usage des écrans n’est pas compensé par des sollicitations sociales et environnementales, par des activités ancrées dans le réel. Cela entraîne alors un appauvrissement pour le cerveau.

La surexposition des jeunes enfants aux écrans peut-elle entraîner des symptômes qui s’apparentent à ceux de l’autisme ?

SERGE TISSERON – Si un jeune enfant passe plusieurs heures par jour devant un écran, c’est une situation de carence éducative et affective grave, qui peut se traduire par une forme de repli sur soi. Il en serait de même s’il passait plusieurs heures devant un mur ! Ce qui fait défaut ici, c’est la relation affective et la stimulation dont l’enfant a besoin pour se développer. La symptomatologie induite par ces situations de carence grave est partiellement régressive si les conditions éducatives changent.

Mais même si les formes de repli observées chez ces enfants évoquent certains symptômes de la série autistique, parler d’autisme – ou même d’autisme « virtuel » -, est une source importante de confusion. En effet, l’autisme est une maladie complexe, et les enfants atteints de TSA (troubles du spectre autistique) ne présentent pas des troubles de la communication et de l’interaction sociale liés à un défaut de stimulation. C’est l’ensemble de leurs canaux de perception du monde environnant, du visage et de la parole d’autrui, qui sont affectés, et cela quelle que soit la qualité des stimulations apportées par l’entourage. C’est pourquoi il est préférable de ne pas mélanger les difficultés engendrées par les écrans avec les troubles autistiques dont le déterminisme et l’évolution sont très différents.

Quels sont les usages des écrans qui posent le plus de problèmes aujourd’hui?

WILLIAM LOWENSTEIN – Parce que ce sont les activités sur écrans les plus attractives, les jeux sont aussi les plus à même de générer des problèmes. Ce sont en particulier les jeux en réseaux avec des avancées de poste, des galons que l’on risque de perdre en cas de présence insuffisante. Toute la difficulté pour le joueur est de pouvoir vivre sans ces jeux, de pouvoir s’en passer. Le danger vient du fait que ces jeux donnent une identité, voire un prestige aux joueurs (pour les plus compétents) mais les menacent de n’être plus rien s’ils arrêtent.

Le développement de certaines pathologies comme Alzheimer et le vieillissement cérébral peuvent-ils être favorisés par une consommation importante d’écrans comme la TV ?

PIERRE-MARIE LLEDO – Ce n’est pas tant le support que le contenu qui pose problème. Si l’on passe son temps à visionner des événements stupides sans stimulation intellectuelle, ni d’effet de nouveauté, et si les écrans ne nourrissent pas notre désir d’apprendre, le cerveau va s’éteindre petit à petit. Il faut donc apprendre à être sélectif dans les sollicitations liées aux écrans, savoir trier l’utile du futile.

A contrario, on sait que les écrans peuvent être bénéfiques et apporter du confort ou soigner les personnes souffrant de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Ces mêmes écrans peuvent aider à trouver plus rapidement des concepts ou des mots qui leur échappent. Comme souvent, tout est donc une question d’usage.

En quoi les rayons ultraviolets du soleil sont-ils plus dangereux pour nos yeux que la lumière bleue émise par les écrans ?

NICOLAS LEVEZIEL – Le spectre du visible s’étend de 390 nm à 750 nm. Les UV-B ont un spectre compris entre 290 et 320 nm, les UV-A ont un spectre compris entre 320 et 400 nm et la lumière bleue a un spectre compris entre 440 et 500 nm.

La phototoxicité diminue avec l’augmentation de la longueur d’onde.

Les UV-B et A émis par le soleil seront donc plus toxiques que la lumière bleue émise par les écrans.

En outre, l’énergie émise par le soleil est heureusement beaucoup plus importante que l’énergie émise par un simple écran. La preuve en est qu’une exposition sans protection d’une courte durée, de l’ordre de quelques minutes, au rayonnement du soleil pendant une éclipse, peut conduire à des lésions rétiniennes irréversibles, ce qui est loin d’être le cas pour les écrans.

En conclusion, il faut donc rester prudent sur l’utilisation des écrans, sans toutefois céder à des croyances pour l’instant non véritablement fondées.

Internet et les jeux vidéo créent-ils des comportements pathologiques ou révèlent-ils des pathologies préexistantes ?

WILLIAM LOWENSTEIN – On peut établir un parallèle avec les usages problématiques, voire les abus de cannabis chez les jeunes. On retrouve en effet très souvent une psychopathologie associée à l’usage abusif des écrans et une inquiétude des parents, légitime bien que parfois excessive.

On se trouve face au paradoxe de la poule et de l’œuf : est-ce que ce sont les problèmes personnels psychologiques qui trouvent une forme d’automédication ou de soulagement dans un usage excessif des écrans ou est-ce que ces usages excessifs créent eux-mêmes leurs propres problèmes ?

Notre rôle en tant que médecin est d’essayer d’apporter une réponse à cette question. Et une fois que le « pourquoi » a été abordé, c’est le « comment » qui est intéressant : comment aider le patient à retrouver le contrôle de son usage des écrans ?