La révolution numérique n’a pas épargné les familles. En quelques années seulement, les écrans ont envahi les chambres de nos enfants, petits et grands. Pas étonnant dès lors que la tablette soit le jouet le plus vendu et détrône la Barbie dans le cœur de nos chères têtes blondes !

Faut-il pour autant s’en inquiéter ? De nombreux experts alertent les parents sur une utilisation abusive qui ne seraient pas sans risque pour le développement de nos enfants.

Mais quels sont réellement les dangers d’une surexposition aux écrans connectés ou à la télévision ? A quel moment faut-il s’alarmer ? Comment protéger nos enfants de possibles dérives ?

Une exposition croissante des enfants aux écrans

Pourquoi de plus en plus de parents laissent-ils leurs enfants passer de nombreuses heures sur les écrans ? Ignorent-ils les possibles dangers de cette exposition ? Croient-ils bien faire ? Le font-ils pour stimuler l’éveil de leurs enfants, leurs capacités cérébrales, développer leur agilité ou encore les préparer à une vie future au sein de laquelle les écrans occuperont, de fait, une place centrale ?

L’explication est plus subtile qu’il n’y paraît et est sans doute liée aux difficultés quotidiennes que bon nombre de parents rencontrent. Liens familiaux fragilisés, souffrance au travail, problèmes financiers… Si bon nombre de parents abandonnent leurs enfants aux écrans, c’est souvent parce qu’ils se sentent dépassés par un quotidien pénible, une charge familiale difficile à assumer.

Avant les écrans, on mettait les enfants devant la fenêtre. Aujourd’hui, on les met devant les écrans.

Serge Tisseron

Trop d’écrans : les risques pour nos enfants

Little girl watching TV on the couch stretched

Comme le précise l’Académie des Sciences dans son rapport de 2013 sur « l’enfant et les écrans » :

l’évolution numérique a des effets positifs considérables en améliorant l’acquisition des connaissances et des savoir-faire, mais aussi en contribuant à la formation de la pensée et à l’insertion sociale des enfants et des adolescents.

Leur pratique excessive peut toutefois avoir de lourdes conséquences sur la santé, le bien-être et l’avenir de nos enfants :

  • sur le développement du cerveau et l’apprentissage de compétences fondamentales. Les enfants surexposés aux écrans ont plus de risques de souffrir d’un retard de langage que les autres. Une étude récente menée par des chercheurs québécois et américains a mis en évidence l’impact sur le long terme d’une exposition importante aux écrans dans les premières années de vie. Cette étude a montré que chaque heure supplémentaire passée devant la télévision par un enfant en bas âge diminuait ses performances scolaires à l’âge de 10 ans : moindre intérêt pour l’école, moindre habileté au plan mathématique. Cette surexposition précoce entraînait également une moindre autonomie, une moindre persévérance et une intégration sociale plus difficile avec notamment un risque accru de souffrir d’une mise à l’écart par ses camarades de classe ;
  • sur les capacités d’attention et de concentration : ceci est vrai même si l’enfant se trouve dans une pièce avec la télévision allumée sans qu’il la regarde ;
  • sur le bien-être et l’équilibre de nos enfants : d’après une enquête réalisée par le Public Health England[1] (ministère de la Santé britannique), les enfants qui passent trop de temps devant les écrans (télévision, ordinateur, console ou téléphone portable) seraient moins heureux, plus anxieux et plus déprimés que les autres. Au-delà de quatre heures par jour, le risque de voir apparaître des problèmes émotionnels et une mauvaise estime de soi seraient notamment considérablement accrus. Ce temps passé devant les écrans empièterait en outre sur le temps consacré à d’autres activités récréatives (sport, jeu avec des amis), qui sont essentielles pour apprendre certaines valeurs (partage, respect de l’autre) et ont un impact positif reconnu sur le bien-être des enfants ;
  • [1] Etude menée auprès de 42 000 jeunes (âgés de 8 à 15 ans).
  • sur le comportement : les enfants qui passent beaucoup de temps devant des contenus violents (jeu vidéo ou télévision) sont plus agressifs et plus enclins à se battre, plus impulsifs. Par ailleurs, la surexposition des plus petits risque d’entraîner une attitude passive face au monde qui les entoure ;
  • sur la santé : une surconsommation d’écrans contribue à réduire le temps consacré aux activités physiques et peut favoriser la tendance au grignotage. La conjonction des deux peut alors entraîner une prise de poids. De même, selon une étude récente menée par une équipe de chercheurs de l’Université de Saragosse et Sao Paulo, une exposition aux écrans à raison de plus de deux heures par jour entraînerait un risque d’hypertension accru de 30 % chez les enfants.

Pour plus d’informations, voir l’appel du 9 avril de l’Académie des Sciences, l’Académie de médecine et l’Académie des technologies.

Quand faut-il s’inquiéter ?

Il convient tout d’abord de ne pas dramatiser la situation ni de tomber dans la psychose pour au moins deux raisons.

  • D’abord, comme pour les adultes, on ne peut pas parler d’addiction ou de dépendance aux écrans chez les enfants.

« Un enfant ne peut pas être accro aux écrans, car l’addiction est le stade ultime d’un long processus. Avant, on est dans l’usage abusif », Elizabeth Rossé, psychologue à l’hôpital Marmottan.

Pour autant, il convient de rester vigilant dès les premiers signes d’alerte pour éviter qu’une pratique excessive des écrans dans l’enfance ne devienne pathologique à l’âge adulte. Isolement, appauvrissement de la relation aux autres, passivité, retard de langage, irritabilité, agressivité, anxiété, désintérêt pour d’autres activités, obsession des écrans… peuvent être des signes révélateurs d’une pratique excessive.

  • Ensuite, parce que l’usage abusif des écrans n’est pas irréversible. Dans la majorité des cas, les symptômes liés à cette pratique excessive cessent dès lors que l’on fixe un cadre à l’enfant pour l’inciter à réguler son usage.

Comment protéger ses enfants d’un usage excessif ?

Les écrans ne sont pas mauvais par nature. C’est leur usage qui peut l’être.

L’enjeu n’est donc pas de les bannir mais d’apprendre à nos enfants à les gérer en fixant dès leur plus jeune âge des règles de bon usage. Ces règles doivent bien sûr être définies à la maison, par les parents, mais elles doivent aussi être enseignées à l’école.

« Il est possible de concevoir une diététique des écrans, afin d’apprendre à les utiliser correctement, exactement comme on apprend à bien se nourrir ».
Serge Tisseron, Apprivoiser les écrans et grandir.

Certains conseils peuvent aider les parents dans leur rôle d’éducation au bon usage des écrans :

  • limiter le temps d’exposition aux écrans : l’enjeu n’est pas de définir un temps limite de façon autoritaire et unilatérale mais d’impliquer l’enfant dans un processus d’autorégulation afin de le rendre autonome et de limiter ses risques de perte de contrôle à l’âge adulte. Serge Tisseron suggère ainsi aux parents d’inciter leurs enfants, dès l’âge de 9 ans, à reporter dans un petit carnet le temps passé devant les écrans. L’avantage est que cela permet à l’enfant de prendre conscience du temps réel passé devant les écrans car ce temps est souvent sous-estimé ;
  • s’intéresser à la pratique numérique de ses enfants en engageant avec eux un dialogue et en les accompagnant dans leurs découvertes. Cela consiste à parler avec eux de ce qu’ils découvrent à travers les écrans pour les aider à développer leur intelligence narrative. Mais il s’agit aussi de les accompagner dans le choix des programmes et jeux. Le plus grand danger est de laisser un enfant seul face aux écrans ;
  • utiliser les écrans pour développer leur créativité en orientant ses enfants vers des activités de création (apprendre à dessiner, à faire des photographies, des origamis…) ;
  • donner le bon exemple en s’imposant également une autodiscipline : comment expliquer à ses enfants la nécessité de s’auto-réguler si l’on est soi-même suspendu en permanence à son téléphone ou à sa tablette ? Selon une étude Elabe réalisée réalisée en juin 2019 pour l’association AXA Prévention, en collaboration avec le docteur Laurent Karila et l’association SOS Addictions, si 69 % des parents estiment donner le bon exemple à leurs enfants en matière d’écrans, la réalité est tout autre : 20 % des parents regardent un écran pendant un repas de famille ou 22 % consultent leur téléphone toutes les 10 minutes ! Alors pensez à vous déconnecter le soir à la maison, ou à table en famille, pour votre bien et celui de vos enfants ! On sait en effet que le développement d’un enfant se structure autour de ses capacités d’imitation et d’attention à l’autre. Si ses parents sont captivés par leur téléphone, il aura tendance à s’y intéresser également. De même, manipuler son téléphone tout en s’occupant de son enfant, contribue à appauvrir les échanges avec celui-ci.

Enfin, il est indispensable de fixer un cadre et de définir des limites adaptées à chaque période de la vie. De même que la diversification alimentaire doit se faire en douceur, l’introduction des écrans dans la vie des enfants doit se faire de façon progressive en tenant compte des besoins propres à chaque âge. Serge Tisseron a notamment défini la règle du « 3-6-9-12 » qui est devenue la référence en matière de pédagogie des écrans.

  • Avant 3 ans : évitez la télévision et les écrans non interactifs car ils contribuent à renforcer la passivité des jeunes enfants et à les éloigner de ceux dont ils ont fondamentalement besoin à cet âge : interagir avec leur environnement en utilisant leurs sens (toucher, voir, entendre, bouger, …). Les tablettes tactiles, interactives par nature, peuvent être introduites mais ne doivent en aucun cas se substituer aux jeux traditionnels ni être manipulées par les enfants sans accompagnement.
  • A partir de 3 ans, la télévision peut être introduite mais avec modération. Elle ne doit en particulier pas être placée dans la chambre de l’enfant, les programmes doivent être choisis avec les enfants (en respectant les âges recommandés sur les programmes) et la durée d’exposition doit être fixée au préalable.
  • Entre 3 et 6 ans : n’offrez pas de console de jeu personnelle à votre enfant. Evitez également de placer un ordinateur ou un poste de télévision dans la chambre de votre enfant. Limitez le temps d’écran en fixant des règles claires sur le moment durant lequel ils peuvent être utilisés et la durée d’utilisation. Privilégiez le jeu à plusieurs ou en famille plutôt que de laisser votre enfant seul face à son écran, au risque que son attitude devienne compulsive et qu’il se réfugie dans les écrans pour fuir le monde réel.
  • Entre 6 et 9 ans : fixez un temps d’écran autorisé et laissez la liberté à l’enfant de le répartir comme il le souhaite. Veillez à ce qu’il continue à consacrer du temps à des activités hors écrans. Commencez à lui parler de la notion de droit à l’image et de droit à l’intimité.
  • A partir de 9 ans : initiez votre enfant à Internet. Accompagnez-le dans cette découverte et expliquez-lui les dangers d’Internet en insistant notamment sur le fait que tout ce qui est mis sur le web peut tomber dans le domaine public, ne peut pas être effacé et n’est pas nécessairement vrai. Continuez à fixer une durée autorisée en laissant l’enfant la répartir comme il souhaite entre les différents écrans. Informez-le de l’âge à partir duquel il pourra disposer de son propre téléphone portable.
  • Après 12 ans : vous pouvez laisser votre enfant naviguer seul sur le web à condition qu’il ait bien intégré les risques liés à cette pratique et que vous définissiez un cadre : fixez ensemble les moments de connexion autorisés (en évitant les connexions nocturnes et illimitées depuis sa chambre), informez-le sur les dangers de la pornographie et du harcèlement, discutez avec lui de ce que la loi autorise en terme de téléchargement, apprenez-lui à respecter la signalétique PEGI (Pan European Game Information) qui attribue à chaque jeu un âge spécifique.