Selon le 15e Baromètre de la santé visuelle (ASNAV), les 16/24 ans passent environ 3h30 par jour sur leur smartphone et 2h47 sur un ordinateur. Un nombre croissant de parents s’inquiètent et se sentent démunis face à la place de plus en plus centrale des écrans dans la vie de leurs adolescents. La figure du jeune accro aux jeux vidéo ou aux réseaux sociaux a envahi les médias.
Ce phénomène récent qui creuse un fossé entre les générations est-il aussi grave que certains le pensent ?
Comme souvent, la réponse à cette question mérite d’être nuancée. Les écrans sont omniprésents dans notre quotidien et celui de nos enfants. C’est un fait indiscutable et il est illusoire de vouloir le nier ou de s’y opposer.
De plus, lorsqu’ils sont bien utilisés les écrans constituent une formidable opportunité pour les jeunes de former leur esprit et leur intelligence, construire leur individualité, développer leurs relations sociales, apprendre la décision rapide, développer leur sens de la déduction…
L’enjeu n’est donc pas de les éloigner des écrans mais bien plus de les guider dans leur pratique, pour qu’ils empruntent le chemin d’un usage raisonnable.
Comment les jeunes consomment-ils les écrans aujourd’hui ?
Selon le nouveau rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, publié en décembre 2016, les adolescents passeraient près de cinq heures par jour à 11 ans et plus de huit heures par jour à 15 ans devant les écrans.
La navigation sur la toile est leur activité principale sur écrans : 83 % des jeunes de plus de 16 ans utiliseraient Internet tous les jours contre seulement 23 % 10 ans plus tôt.
Leurs activités sur internet sont variées : s’ils échangent surtout avec leurs amis en se connectant à des messageries ou aux réseaux sociaux, ils s‘en servent aussi pour s’informer ou pour jouer en ligne.
La pratique des écrans est également différente selon le sexe. Les garçons ont une nette tendance à préférer les jeux vidéo alors que les filles seraient plus intéressées par la pratique des réseaux sociaux.
Les dangers d'une surexposition des jeunes aux écrans
Risque et inconvénients,
des différents types d’écrans
- Internet ouvre un champ des possibles infinis et constitue une chance pour les jeunes d’aujourd’hui. Mais ce vaste espace de partage et d’informations les expose également à de nouveaux pièges et dangers face auxquels ils sont parfois démunis : radicalisation, tentative d’escroquerie, cyberharcèlement, rencontre dangereuse avec des pédophiles…
La toile est devenue en quelques années un espace d’insécurité grandissante au sein de laquelle les parents doivent jouer un rôle de guides et de protecteurs.
Ce rôle est toutefois d’autant plus difficile qu’eux-mêmes n’ont souvent pas été confrontés à ces risques lorsqu’ils étaient jeunes.
- Lorsqu’ils sont bien utilisés, les réseaux sociaux peuvent constituer un véritable espace de socialisation et d’expérimentation.
Ils rendent les échanges plus faciles que dans la vie réelle et constituent une aide pour les personnes ayant des difficultés relationnelles, permettent de gagner en confiance, de renforcer son estime de soi. En bref, ils peuvent être une expérience positive pour les jeunes lorsqu’ils reproduisent ce qui se passe dans les cours de récréation. En revanche, la pratique de ces réseaux devient néfaste lorsque que le jeune ne cherche pas tant l’échange avec ses amis que la valorisation à l’extrême (course aux « likes »).
Un autre danger réside dans le fait que toute information postée sur les réseaux sociaux n’est pas sans risque et peut générer bon nombre de problèmes si elle a été diffusée sans précautions : risques de mauvaises rencontres, information utilisée de façon malveillante, impossibilité d’effacer la trace d’un message que l’on pourrait regretter…
- Les jeux vidéo constituent une des activités sur écrans les plus répandues à l’adolescence, notamment chez les garçons.
Très décriée, cette activité n’est pourtant pas dénuée d’avantages : elle alimente, voire stimule les échanges avec les autres, elle enrichit certaines compétences cognitives comme la spatialisation en 3D, développe notre capacité de déduction, notre aptitude à prendre des décisions rapides et à effectuer plusieurs tâches en même temps…
Dans la très grande majorité des cas, le jeu vidéo offre au joueur la possibilité de se détendre sans avoir d’impact négatif sur sa vie ou sa santé. Mais pour certains, notamment vulnérables au plan psychologique, une pratique excessive des jeux vidéo peut devenir problématique et entraîner isolement et mal-être.
Les jeux de rôle massivement multi-joueurs sont de ce point de vue les jeux les plus « à risque » car ils rassemblent tout ce qui est attractif dans un jeu : la découverte, l’aventure, le défi, le combat et le jeu en groupe.
Ce sont ces jeux qui sont le plus souvent à l’origine d’une pratique excessive, voire pathologique, et conduisent des parents et leurs enfants à consulter.
L’impact d’une surconsommation d’écrans
sur la santé des jeunes
Un nombre croissant d’études mettent en avant les effets délétères de l’hyperconnexion chez les jeunes :
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- Un risque accru d’avoir une alimentation déstructurée et des troubles du métabolisme : des études ont permis d’établir un lien entre une pratique excessive d’écrans chez les jeunes et une consommation de nourriture plus sucrée, un développement de l’obésité et du syndrome métabolique (hypertension, glycémie élevée, faible taux de bon cholestérol…).
- Un sommeil perturbé : les jeunes de 15/24 ans souffrent d’un déficit de sommeil selon un sondage réalisé en décembre 2017 par Opinion Way pour l’Institut national du Sommeil et de la Vigilance (INVS). Alors que la durée de sommeil recommandée est de 8 heures par nuit à cet âge, près de 40 % des jeunes dormiraient moins de sept heures par nuit. Principal facteur incriminé dans cette privation de sommeil : la pratique nocturne des écrans. 83 % des jeunes s’adonneraient à leurs activités digitales favorites au lit avant de fermer les yeux. Or, la lumière bleue des écrans stimule l’éveil. Ce risque de sommeil perturbé serait d’autant plus important pour les jeunes s’adonnant à une activité sur écran le soir dans l’obscurité. Selon une étude menée par une équipe de chercheurs de l’Université de Lincoln au Royaume Uni auprès de plus de 6 600 enfants âgés de 11 et 12 ans, les jeunes qui utilisent des écrans le soir dans une pièce éclairée ont un risque accru de perte de sommeil de 31 % alors que ce risque passe à 147 % pour les jeunes le faisant dans le noir !
- Des risques sur le plan cardiaque : selon une étude du Henry Ford Health System (Detroit) auprès d’une cohorte d’adolescents, passer 14 heures ou plus par semaine sur Internet augmenterait les risques d’hypertension. 20 % des participants de l’étude ont été diagnostiqués avec une pression artérielle trop élevée.
- Des conséquences sur le plan psychique : les images violentes liées parfois à la pratique des écrans (films viraux, jeux violents…) peuvent générer une insécurité psychique et une plus faible tendance à l’entraide ou à la coopération. De même, certaines études récentes ont mis en évidence un lien entre une pratique excessive des écrans et l’apparition de signes de dépression.
- Des troubles sur le plan visuel : selon le 15e Baromètre de la santé visuelle (ASNAV- 2018), la moitié des jeunes de 16/24 ans se plaint de fatigue visuelle (soit + 9 points par rapport à 2017). Plus inquiétant, 34 % ne font rien comme consulter et 15 % n’ont même jamais consulté un ophtalmologiste. Enfin, 65 % ne font aucune pause régulière devant un écran.
Les jeunes sont à la fois très consommateurs d’écrans et très négligents avec leur santé visuelle »
Jean-Félix Biosse Duplan, délégué général de l’Asnav.
Enfin, les écrans constitueraient un vecteur d’information et une porte d’entrée dans la sexualité. Leur pratique excessive est à mettre en relation avec une initiation sexuelle plus précoce.
Jeunes et écrans : quels sont les signes d'alerte ?
Ecrans et jeunes :
quand faut-il s’inquiéter ?
Faut-il s’alarmer si un adolescent passe un grand nombre d’heures chaque jour devant les écrans ?
Pas nécessairement ! Si la situation peut dans certains cas être préoccupante, il convient tout d’abord de relativiser et de garder à l’esprit que la grande majorité des jeunes ayant grandi à l’ère du numérique, les « Millenials », ne souffrent fort heureusement pas d‘un usage problématique des écrans.
Il convient donc d’éviter de pathologiser la pratique d’Internet ou des écrans, qui ne constitue bien sûr pas en soi un comportement problématique à l’adolescence.
Rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) « Jeunes et addictions », publié le 7 décembre 2016.
Par ailleurs, le nombre d’heures passées n’est pas le signe d’alerte le plus discriminant : ainsi un adolescent qui passe deux heures par jour sur les réseaux sociaux peut avoir une pratique plus risquée que son camarade qui joue en ligne durant six heures, si ces deux heures ont un retentissement négatif sur sa santé, sa vie sociale et sa vie scolaire.
Le signe d’alerte le plus révélateur d’un usage problématique des écrans est ainsi la baisse des résultats scolaires.
D’autres signes peuvent également amener les parents à suspecter un problème chez leurs enfants : des perturbations du sommeil, des difficultés de concentration, des troubles du comportement alimentaire, une diminution des relations sociales, une réduction du temps consacré aux autres activités (familiales, sportives, culturelles) …
Comment savoir si un usage intensif
des jeux vidéo est pathologique ?
Différents facteurs permettent d’expliquer que certains jeunes basculent dans une pratique excessive et nocive des jeux vidéo :
- les jeunes ont une incapacité « physiologique » à contrôler leurs impulsions : on estime que le contrôle des impulsions se met progressivement en place à l’adolescence mais qu’il est définitivement installé vers l’âge de 25 ans. D’où la difficulté pour certains jeunes de s’arrêter de jouer ;
- les concepteurs des jeux vidéo exploitent cette vulnérabilité en mettant en place des systèmes de récompense/sanction (quête journalière, lootbox…) basés sur la peur de rater ou de perdre quelque chose d’important et entretiennent ainsi la dépendance des jeunes à leurs jeux. Ces stratégies sont inspirées de celles utilisées dans les jeux de hasard et d’argent, et accroissent le risque de jeu pathologique ;
- les jeux vidéo peuvent représenter une échappatoire pour des adolescents en situation de mal-être qui utilisent le jeu vidéo comme un refuge, un moyen de fuir une réalité perçue comme difficile.
Serge Tisseron propose aux parents de poser trois questions à leur adolescent pour évaluer le niveau de risque lié à leur pratique des jeux vidéo.
- « Est-ce que tu joues seul ou avec d’autres ? ».
L’adolescent qui joue seul, ou avec des inconnus, est le plus menacé par un usage désocialisant. En revanche, celui qui joue avec des camarades de classe qu’il retrouve la journée est le moins menacé. - « Fais-tu des petits films à partir de tes jeux, filmes-tu tes performances avec tes copains dans les jeux en réseau pour les mettre sur Internet ? ».
L’adolescent qui a une pratique de création doit être encouragé dans cette voie : les pratiques créatrices sur Internet ne sont pas seulement socialisantes. Elles sont aussi le meilleur antidote aux pratiques compulsives et désocialisantes. - « As-tu pensé à faire ton métier dans les professions du jeu vidéo ? ».
Ne pas vouloir penser à son avenir est mauvais signe. L’adolescent qui pense aux professions du jeu vidéo doit y être encouragé car cette filière est en pleine expansion.
Au final, et pour s’en tenir aux cas extrêmes : l’adolescent qui joue seul, n’a pas de pratique de création, et dit ne pas penser à son avenir présente un profil préoccupant. Une consultation médico-psychologique peut s’avérer utile.
En revanche, celui joue avec ses camarades, a des pratiques de création, même limitées, et réfléchit à son avenir, a seulement besoin que ses parents cadrent son temps d’écran et parlent avec lui de ses jeux et de ses créations.
Que faut-il faire si son enfant a une pratique
excessive des écrans ?
Vous avez constaté que la pratique des écrans a un impact négatif et durable sur la vie de votre enfant ?
Sachez tout d’abord que si l’on intervient suffisamment tôt, rien n’est irréversible surtout à un âge où les jeunes sont malléables et où il est donc relativement facile de changer de mauvaises habitudes.
Essayez d’engager un dialogue avec votre enfant pour l’amener à prendre conscience progressivement qu’il est peut-être allé trop loin dans sa pratique. Demandez-lui également comment lui-même vit la situation.
S’il est coopératif, aidez-le à s’auto-réguler en fixant avec lui un cadre, des règles d’utilisation des écrans (définissez ensemble les moments où il pourra se connecter et le nombre d‘heures qu’il pourra raisonnablement y consacrer).
S’il est dans le déni, n’hésitez pas à consulter un spécialiste seul.
Ce premier RDV avec un psychologue ou un psychiatre est souvent bénéfique et constitue la première étape de la prise en charge. Il vous aidera sans doute à identifier des leviers pour faire venir votre enfant lors d’une prochaine consultation.
Comment limiter les risques de vos ados ?
Certains conseils peuvent vous aider à limiter les risques que vos enfants ne passent de « l’usage plaisir » à un usage pathologique des écrans.
Tous ces conseils convergent vers une seule et même idée : maintenir le dialogue en continu, pour éviter que vos enfants ne s’isolent du monde réel.
De façon plus concrète, il est recommandé :
- de contrôler leur pratique des écrans sans être intrusif : les adolescents ont encore besoin d’être orientés, accompagnés car leur maturation cérébrale n’est pas terminée.
Surveillez leur temps d’écran et fixez-leur des limites (jour autorisés, durée, pas de connexion la nuit).
Mais au-delà de cette surveillance, intéressez-vous à ce qu’ils font. Votre enfant est un adepte des jeux vidéo ? Demandez-lui qu’il vous initie et jouez avec lui de temps à autre !
Interrogez-le pour comprendre sa pratique : désire-t-il en faire son métier (dans ce cas, sa relation aux jeux vidéo est saine) ?
Joue-t-il seul ou avec d’autres personnes ?
Jouer avec des camarades de classe est moins risqué que le jeu en solitaire ou avec des inconnus ; - de les aider à adopter une pratique plus enrichissante, moins passive des écrans, en cherchant par exemple sur Internet des contenus adaptés à ce qu’ils aiment ;
- d’établir un contrat de partenariat avec eux dans lequel vous intégrerez vos exigences au plan scolaire et les modalités d’utilisation des écrans que vous aurez fixées ensemble ;
- de préserver les activités hors écran au sein de la famille (promenades, sorties culturelles ou sportives…) :
- d’être exemplaire en limitant votre propre usage des écrans devant vos enfants. Il en va de votre crédibilité ! ;
- de les aider à déjouer les pièges d’Internet : expliquez-leur qu’Internet n’est ni une zone de non droit ni un espace bénéficiant d’un droit spécifique (ce que l’on ne peut pas faire dans la rue, ne doit pas non plus se faire sur la toile).
Sensibilisez-les sur le téléchargement légal/illégal. Mettez-les en garde sur la portée de toutes les informations diffusées.
Un simple commentaire ou « like » , en apparence anodin, peut laisser une trace indélébile et être lourd de conséquences. Par exemple, liker un commentaire négatif sur un camarade de classe c’est être co-responsable d’une attitude de dénigrement pouvant déboucher sur du harcèlement.
Incitez également vos enfants à aiguiser leur sens critique et à prendre du recul sur les informations véhiculées par Internet qui peuvent être des rumeurs infondées ou des informations erronées ; - de ne pas surveiller leurs activités sur les réseaux sociaux, au risque qu’ils ne déploient des ruses pour vous tromper ou des stratégies de dissimulation. De même, évitez d’être leur ami sur Facebook : vous pourriez notamment avoir accès à des informations qui relèvent de leur intimité.